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Le changement climatique dans l’œil des archéologues

Par admin jeanjacquesgallay-scionzier, publié le mercredi 25 juin 2025 09:57 - Mis à jour le mercredi 25 juin 2025 09:57
Des monuments romains d’Aoste aux alpages de la vallée de l’Arve, les archéologues s’intéressent de plus en plus aux changements climatiques à travers les âges.

Dans le cadre du projet de recherche européen DAHU, des scientifiques italiens et français collaborent pour mieux comprendre comment les sociétés qui nous ont précédé sur ces territoires de montagne se sont adaptées au fil des siècle. Des travaux qui résonnent au XXIe siècle, à l’heure du réchauffement climatique. Les élèves de 3e LCA du collège Jean-Jacques Gallay de Scionzier sont partis à leur rencontre. 

Fouilles dans le vallon de Villy. @Département de Haute-Savoie / Christophe Guffond

Des fouilles de pâturages aux stations de ski : « L'archéologie permet de réfléchir sur nos enjeux à nous »

Première à se réchauffer, première à se refroidir. La montagne est un milieu particulièrement sensible aux changements climatiques. Responsable du Service archéologie et patrimoine bâti au département de Haute Savoie et chef de file du projet européen DAHU, Christophe Guffond estime que l’étude des adaptations humaines à ces changements à travers les âges est particulièrement utile aujourd’hui. 

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Christophe Guffond @Collège JJ Gallay

En quoi consiste le projet DAHU ? 

C'est un projet de coopération transfrontalière avec la Vallée d'Aoste qui consiste à documenter l'évolution des occupations humaines en montagne à travers les âges pour voir comment les sociétés se sont adaptées aux différents changements climatiques. 

Au cours de l'histoire, quels ont été les changements climatiques en question ? 

On peut déjà partir de la formation des glaciers lors de la dernière glaciation du Würm [qui a démarré il y a plus de 100 000 ans]. Les glaciers recouvraient une bonne partie de la Haute-Savoie, sur des épaisseurs assez conséquentes. On sait par exemple qu'ici, à l'aplomb de Cluses, on avait à peu près 1500 mètres de glace. Les glaciers ont disparu il y a 12 000 et se sont repliés dans les secteurs de la haute vallée de l'Arve. Ensuite il y a eu plusieurs alternances climatiques. A la fin de l'âge du bronze, on sait qu'il y a eu une dégradation du climat, puis un réchauffement à l'époque romaine, puis une nouvelle dégradation au haut-Moyen-Âge. Enfin, il y a eu le Petit âge glaciaire qui est plus présent dans les mémoires locales, qui commence au 14e siècle et se termine au début du XXe siècle. Tous ces changements de températures vont impacter les exploitations agricoles et les activités humaines. Par exemple, pendant le petit âge glaciaire des secteurs ont dû être abandonnés parce que les glaciers recouvraient les maisons des villages. 

Sur quels sites travaillez-vous ? Comment les choisissez-vous ? 

Nous avons travaillé sur le site du château de Saint-Michel-du-Lac aux Houches. C'est un château qui permettait de contrôler des axes de circulation pour passer dans les vallées adjacentes par les cols. Nous travaillons aussi des alpages dans le vallon de Villy, c'est entre Passy et Chamonix, entre 1600 et 3000 mètres d'altitudes. Notre objectif est de comprendre comment les activités humaines se sont développées à cet endroit. Comment l'homme à colonisé le vallon pour faire de l'élevage, comment les chalets et villages d'alpages se sont développés, et si le petit âge glaciaire a eu un effet sur l'architecture de ces chalets. 

Est-ce contraignant de travailler en altitude ? 

Oui ! L'hiver on peut avoir plus d'un mètre de neige, donc nous ne fouillons que l'été. Par ailleurs notre projet est en lien avec le changement climatique et nous essayons d'être vertueux, en montant tout notre matériel avec des ânes ou sur le dos, nous ne voulons pas faire d'héliportage. C'est donc assez physique. On loge dans des chalets d'alpage qu'on nous prête pour nos campagnes de fouilles. 

Vous avez un projet de fouille...d'une station de ski ?

A ma connaissance c'est quelque chose qui n'a jamais été fait, mais des collèges ont déjà fouillé des gares abandonnées, ou bien des zones du débarquement de Normandie. C'est ce qu'on appelle l'archéologie contemporaine. Le sujet des stations de ski permettrait d’étudier les traces laissées par cette activité touristique pendant des décennies. Il résonne particulièrement aujourd'hui, alors qu'on sait qu'on doit abandonner certaines installations en raison du réchauffement climatique. 

Comment parvenez-vous à établir les causes des évolutions des sociétés ? 

Si on sait qu'un site a été abandonné, on peut mettre en relation la date de l'abandon avec les connaissances climatiques dont on dispose. Par exemple on a travaillé à Sixt sur des chalets abandonnés à la fin du XVIe siècle. Nous avons pu le dater grâce à des monnaies retrouvées sur place. Or nous savons qu'à cette période il y a eu une recrudescence des chutes de neige et que ce secteur était avalancheux. C'est cette accélération des avalanches qui a entraîné l'abandon du secteur. 

Vous trouvez toujours quelque chose lors des fouilles ? 

Parfois on ne trouve rien, c'est vrai ! Lors de fouilles préventives, avant des travaux, on fait un diagnostic en faisant des tranchées à la pelle mécanique. On l'a fait récemment à Groisy avant la construction d'un collège, et ça n'a rien donné alors qu'on pensait trouver quelque chose, comme on était à 100 mètres d'une nécropole du Moyen-Âge. Par contre dans le vallon de Villy on a ciblé des secteurs où on savait qu'il y avait des vestiges, des ruines dans lesquelles on a plus de chances de trouver des objets...

En quoi ces recherches sont utiles pour nous aider à faire face au réchauffement climatique actuel ? 

On pense que ces projets sont utiles parce qu'ils nous montrent que les sociétés humaines qui nous ont précédé ont vécu des changements. Toute la question est de savoir comment elles s'y sont adapté. Nous sommes aujourd'hui dans une période où nous allons devoir nous aussi nous adapter, interroger la question des ressources, le lien avec notre milieu, notre organisation sociale... L'archéologie permet de réfléchir sur nos enjeux à nous. Comment on s'est organisé dans l'histoire pour continuer à vivre dans ce secteur de montagne. Est-ce que, par le passé, il y a eu des aménagements, des organisations sociales politiques, qui ont permis de faire face aux changements et est-ce qu'on peut en tirer des enseignements pour le présent et pour le futur ? 

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Ambra Idione : « On peut mieux comprendre le changement climatique actuel en regardant ce qu'il a été par le passé »

Coordinatrice du projet DAHU pour la région Vallée d'Aoste, Ambra Idione explique que ce programme de recherche menée à la fois en Italie et en France s’appuie sur la collaboration avec d’autres disciplines scientifiques.

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Ambra Idione @Collège JJ Gallay

Comment les hommes se sont adaptés en montagne en fonction des variations climatiques ?

On commence à avoir des informations intéressantes. Par exemple, dans la vallée d'Aoste nous travaillons sur le vallon de Saint-Gras, à Issime. C'est un territoire Walser, une minorité linguistique liée à l'allemand installée au nord-est de la vallée d'Aoste. Ces Walser ont commencé à habiter le vallon de Saint-Gras dans une époque d'optimum climatique, vers 1200-1300 de notre ère. Mais peu de temps après a démarré ce qu'on appelle la "petite glaciation". 

C’est ce qu’on appelle aussi la « petite ère glaciaire » ?

Oui. C'est une période, avant et après le 17e siècle, pendant laquelle le climat s'est beaucoup refroidi et où beaucoup de cols étaient complètement bloqués par la neige ou la glace toute l'année. Les populations locales ont cherché alors à descendre en altitude pour compenser. 

Que sont devenus les Walser pendant cette période ? 

C’est cela qui est intéressant. Ce peuple a continué d'habiter sur ce territoire. Certes, ils ont changé leur façon de vivre, par exemple en habitant un peu plus bas en altitude, mais n'ont pas complètement délaissé les alpages de haute altitude. Ils ont habité le vallon jusqu'à la fin du XIXe siècle environ, avant un abandon presque total au XXe siècle. Aujourd'hui seuls un ou deux alpages sont encore utilisés. Nous sommes en train de mener plusieurs études multidisciplinaires pour bien comprendre l'évolution du climat et du paysage avant et après l'arrivée des Walser. 

Comment travaillez-vous pour faire vos recherches ? 

Sur le terrain nous cherchons toutes les traces de structures faites par l'homme, nous procédons à des sondages ou à des fouilles. Mais nous faisons aussi appel à d'autres disciplines scientifiques, comme l'écologie du paysage. Cette discipline consiste à comprendre, sur un territoire, comment a évolué le paysage au cours des siècles. Il peut s'agir de comparaison de cartes ancienne, ou d'images plus récentes. Par exemple en se basant sur d'anciennes vues aériennes, les écologues ont constaté que le bois s'est répandu depuis 1950, avec l'abandon de certains pâturages. Nous travaillons aussi avec des pédologues, qui étudient le terrain, les couches organiques qui le composent et permettent de comprendre son évolution. Par exemple ils peuvent nous dire si un terrain était un pâturage ou un bois au 17e siècle. 

Vous utilisez aussi de la dendrochronologie... qu'est-ce que c'est ?

C'est la science de la datation des bois anciens. Comme vous le savez les bois ont des anneaux, chaque anneau correspondant à une année de croissance de l'arbre. Or le climat peut-être différent d'une année sur l'autre. Avec des éléments de comparaison, on peut comprendre, en ayant plusieurs anneaux de ce bois, la période à laquelle l'arbre à vécu. Par exemple, on peut trouver la date de la coupe de l'arbre, et donc plus ou moins celle de la construction d'un bâtiment par exemple...

Est-ce que cela nous aide à comprendre le changement climatique actuel ? 

Indirectement en quelque sorte. Le but de ce projet est de comprendre comment on pourrait s'y prendre sur "notre" changement climatique à nous, par rapport à ce qu'ont fait nos ancêtres. C'est un projet culturel essentiellement. On peut mieux comprendre le changement climatique actuel en regardant ce qu'il a été par le passé. Ces populations ont pu s'adapter et rester sur ces territoires alors que le climat avait changé.

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Alessandra Armirotti : « La sécheresse de ces dernières années provoque des dommages sur les vestiges »

Alessandra Armirotti est archéologue à la Surintendance aux biens et aux activités culturelles de la région autonome Vallée d'Aoste. Selon elle, il faut aujourd’hui « composer » avec le réchauffement climatique qui peut abîmer certains sites historiques, mais peut aussi permettre de nouvelles découvertes grâce au développement de l’archéologie glaciaire. 

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Figure 2 Alessandra Armirotti / Crédit : Classe de 3e Jean-Jacques Gallay

 

Quels sont les effets du changement climatique sur la conservation du patrimoine à Aoste ? 

Plus que le réchauffement climatique, c'est d'abord l'avancement du temps qui cause des dommages sur le patrimoine. On doit toujours restaurer les vestiges. Mais pour ce qui est des monuments ou des sites archéologiques en plein air, comme par exemple ici au forum d'Aoste, nous devons aussi composer avec le changement climatique. C'est particulièrement visible l'été, avec la chaleur et la sécheresse de ces dernières années qui provoquent des dommages sur les vestiges. Regardez par exemple ce mur derrière nous. Sa partie sommitale est en terre car elle est composée de mortier romain qui a séché. On doit presque tous les ans restaurer ces vestiges, ce qui n'est pas possible pour des questions économiques. C'est infini. 

C'est une course contre le temps ou bien contre les effets de l’activité humaine ?  

Un peu les deux en réalité. Maintenir le patrimoine est vraiment difficile. Nous avons un plan annuel pour savoir quels sites doivent être priorisés. Nous en restaurons un ou deux par an. Cette année c'est l'arc d'Auguste, vous avez peut-être vu les échafaudages, et le théâtre romain. Le mortier est très affaibli par la sécheresse. Il y a aussi d'autres causes qui ne sont pas liés au réchauffement mais à la pollution. Pour l'arc d'Auguste, nous avons dû commener par un nettoyage de la surface qui avait été complètement noircie par la pollution. Ce n'est qu'après que nous avons pu consolider les structures endommagées. 

Mais le changement climatique n'est pas juste une menace, il permet aussi de nouvelles découvertes... 

Nous avons aussi lancé un projet sur l'archéologie glaciaire. C'est un domaine qui s'est développé avec la fonte des glaciers. On se souvient de la découverte d'Ötzi en 1991, un homme du néolithique retrouvé dans les Alpes italiennes. Cet événement a initié tout un mouvement scientifique. 

Nous avons lancé en 2024 une application "IceWatcher" qui permet de signaler des éventuelles découvertes liées à la fonte des glaciers. N'importe quelle personne qui se rend en montagne, en altitude, et qui trouve quelque chose, du bois, des restes humains ou animaux, peut signaler sa découverte. Ensuite nous allons vérifier ce qu'il en est. L'application est encore en phase de test et devrait être diffusée auprès du public l'année prochaine. 

Quelles découvertes ont déjà permis la fonte des glaciers ? 

En 2022, une guide de montagne nous a signalé une momie de marmotte sur le glacier du Lyskamm à 3500 mètres. Le glacier avait conservé sa peau, ses poils...Elle était sur une roche qui a été découverte par la fonte. Nous avons récupéré cette momie, avec tout un protocole très strict. Nous avons pu la faire dater et montrer qu'elle date du 3e millénaire avant Jésus-Christ. 

Nous avons aussi retrouvé des bois sur le col Collon, à 3200m. Nous les avons datés au carbone 14, ils remontent au second âge du fer, c'est-à-dire du 3e siècle avant JC. Ils attestent un passage continu entre la vallée d'Aoste et le Valais suisse, même à cette altitude, par des populations qui utilisaient ces bois. On pense qu'il pouvait s'agir de piquet pour des tentes, peut-être des militaires.